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Le lendemain du 7 Février 2021: le président Jovenel Moïse aura-t-il tort ou raison au pouvoir?

Par Wendy DESHOMMES
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Le 7 février 2021 marque, pour certains, la fin du mandat du président de la République d’Haïti S. E. M. jovenel Moïse. Ils soutiennent que le mandat du président a commencé en 2016 plus précisément le 7 Février. Cependant, les partisans du parti haïtien tèt kale (PHTK) refutent cet argument et précisent que le mandat du président prendra fin en 2022 soit le 7 février. Les partisans du pouvoir PHTK avancent que le processus électoral a été annulé pour reprendre à nouveau un autre processus qui amène Jovenel Moïse au pouvoir.

Par ailleurs, le président de la République a prononcé un discours le 1er Janvier dernier dans lequel il a annoncé trois grands projets à long terme pour l’année 2021:

Le projet d’organiser les élections générales, celui de doter le pays d’une nouvelle constitution et celui de l’electrification du pays qu’il a promit depuis bien des années. À travers ce discours, le chef de l’État temoigne clairement sa volonté de garder à tout prix le pouvoir jusqu’en 2022. Cette volonté du président d’aller au delà du 7 février prochain sera t-elle justifiée ou non selon la Constitution?

Un retour dans la réalité électoral 2015, 2016

 23 Janvier 2015 est la date de l’installation des membres du conseil électoral provisoire (CEP) ayant à sa tête Pierre Louis Opont et Pierre Manigat Junior comme vice-président. Cependant, ce conseil allait affronter des difficultés énormes en ce qui à trait à sa légitimité. C’est le cas de Madame Lucie Carmel Paul (représentante de l’université d’état d’Haïti) qui n’était pas reconnue de ce secteur, c’est le même cas pour Nehemie Joseph rejetée par le secteur vodou. Yolette Mingual (représentante de l’organisation féminine), Vijonet Démero (cultes réformés) et Lourdes Edit Joseph (secteur syndical) font, eux aussi, objet de dénonciation par leur secteur qu’ils ont soi-disant représentés.

Ce CEP, en depit des problèmes de légitimité, continue de faire sa route. Il a soumis à l’exécutif, le 23 Février 2015, le projet de décret électoral et celui-ci devient le décret électoral du 2 Mars 2015 après s’être approuvé en conseil des ministres.

Du même coup, le 9 Août 2015 est la date retenue pour l’organisation du scrutin législatif, celui du présidentiel le 25 Octobre en même temps que le second tour des élections législatives, et le 27 Décembre 2015 est la date retenue pour la réalisation du second tour de l’élection présidentielle.

Il faut rappeler que ces élections n’étaient pas déroulées dans un climat de sérénité comme c’est souvent le cas en Haïti. Les opposants les plus farouches tels que Moïse JEAN CHARLES, Maryse NARCISSE, etc. du pouvoir en place dénonçaient les «fraudes électorales». Même les candidats (représentants du parti au pouvoir) admettaient qu’il y a eu bel et bien quelques «irrégularités». Des centres de vote incendiés, des bandits armés envahissaient les espaces de vote, des pertes en vie humaine et matériels sont enregistrés à travers tout les départements du Pays.

Les résultats préliminaires proclamés par le CEP allaient être contestés par le groupe G8 qui exigeait la formation d’une commission d’évaluation des élections. Une demande jugée illégale par les conseillers électoraux mais, la détermination des membres du G8 amène le président Martelly à former la commission d’évaluation électorale indépendante (CEEI)  par arrêté présidentiel en date du 22 Décembre 2015. Cependant, les tensions enveniment jusqu’à pousser le CEP à repousser au 24 Janvier 2016 les élections présidentielles qui étaient prévues pour le 27 Décembre 2015 et, plusieurs membres du CEP demissionnaient sous pression des tensions (le CEP rédui à quatre membres). Brusquement dans la nuit du 22 Janvier 2016 le président du CEP, Pierre Louis Opont a reporté les élections pour une date inconnue.

Entre-temps, le mandat du président Michel Joseph Martelly approche vers sa fin le 7 Février 2016. Alors la question préoccupante du moment c’est de savoir qui va assurer la transition, est-ce monsieur Jules Cantave, le président de la Cour de cassation ? Si non qui d’autre ?

Au final, un accord s’était trouvé le 6 Février 2016 entre  Michel Joseph Martelly, Jocelerme Privert, président du Senat et Cholzer Chancy, président de la Chambre des députés. Cet accord permettrait à Jocelerme PRIVERT d’assurer la transition au côté de Cholzer CHANCY comme vice-président le 14 février 2016.

Le président Jocelerme Privert se mettait au travail. Rapidement, un nouveau , Conseil Électoral Provisoire est créé par arrêté présidentiel du 30 mars 2016 dont Léopold Berlanger (représentant de la presse) en devient président ; Carlos Hercule (représentant de l’église catholique) devient vice-président ; Frinel Joseph (cultes réformés) comme trésorier ; Marie Frantz Joachim (représentante secteur femme) et Kenson Polynice (secteur vodou); Marie Herolle Michel (patronat); Josette Jean Dorcelly (secteur syndical);  Lucien Jean Bernard (Université) et Jean Simon st- Hubert (droits humains).

Le lundi 6 Juin 2016, le président du CEP Léopold Berlanger annonce l’annulation du premier tour du scrutin présidentiel du 25 octobre 2016, tel qu’il a été proposé par la commission indépendante d’évaluation et de vérification électorale (CIEVE), et propose ce même jour un nouveau calendrier électoral. Dans ce calendrier, le premier tour du scrutin présidentiel se tiendra le 9 octobre 2016 et le second tour (s’il devrait en avoir) prévue le 8 Janvier 2017. Les résultats préliminaires prévus pour le 21 et le second tour (en cas où il n’y a pas de président élu dès le premier) le 8 Janvier 2017 pour publier les résultats définitifs des présidentiels le 30 Janvier 2017.

Cependant, le calendrier électoral interdittoutesnouvellesinscriptionspourlesélectionsprésidentielles, sauf les candidats présentés au premier tour pouvaient confirmer leur candidature au CEP dans un délai qui s’étend du 8 au 23 juin 2016.

Après la campagne électorale déroulée du 23 Août au 7 Octobre 2016, le rendez-vous électoral était attendu le 9 Octobre 2016.

Le passage du cyclone Matthew a provoqué le report des élections présidentielles au 20 Novembre et le 28 Novembre 2016, les résultats préliminaires ont donné Jovenel MOÏSE gagnant. Les contestations de certains candidats n’ebranlent point le CEP. Ce dernier poursuit son chemin en publiant le 3 Janvier 2017 les résultats définitifs portant le candidat à la présidence du Parti haïtien tèt kale (PHTK) au pouvoir.

Que dit les textes de lois, les lettres et accords sur la fin du mandat du président Jovenel Moïse

La constitution de 1987 en vigueur, amendée le 9 mai 2011 a agencé le temps électoral et le temps constitutionnel. Elle a permis au temps constitutionnel et celui d’electoral d’être harmonieux pour éviter toute sorte de chaos lié au vide politique. La non organisation des élections, la transition politique ne fait pas vraiment objet de reconnaissance par la dite constitution, sauf dans de rares cas specifiques.

En effet, la question du mandat présidentielle est tout-à-fait résolue dans la constitution en vigueur. Un regard minutieux de quelques articles nous en apportera certaine précision.

D’abord, l’article 134.1 énonce: «la durée du mandat présidentiel est de cinq ans. Cette période commence et se termine le 7 Février suivant la date des élections». Pour enchaîner, l’article suivant soit 134.2 apporte beaucoup plus de précisions, il affirme que l’élection présidentiel a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le président élu entre en fonction le 7 Février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 Février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 Février de l’année de l’élection.

Il paraît clair que dans l’article 134.2, les retards au niveau de l’organisation des élections ne sont pas pris en charge par la dite constitution. Donc, si les élections présidentielles et législatives ne sont pas organisées à temps comme le veut la constitution, le président de la république en fonction sera le seul responsable dont l’une de ses attributions est de garantir la bonne marche des institutions.

 Ensuite, le décret du 2 Mars 2015 se conforme à la constitution de 1987 amendée. Ce décret tient compte de la fin du mandat de tous les élus. Ainsi, dans l’article 239, le décret précise afin d’harmoniser le temps constitutionnel et le temps électoral à l’occasion des élections organisées en dehors du temps constitutionnel, pour quelque raison que ce soit, les mandats des élus arrivent à terme de la manière suivante :

a) Le mandat du président de la République prend fin obligatoirement le 7 février de la cinquième année de son mandat quelle que soit la date de son entrée en fonction.

Plus loin, le PHTK,  dans une lettre adressée au président du CEP,  Léopold BERLANGER en date du 24 septembre 2016, prouve une fois de plus un processus électoral en cours. Un extrait de la lettre :

Port -au-prince le 24 septembre 2016

Monsieur Léopold Berlanger Jr.

Président du conseil électoral provisoire (CEP)

En ses bureaux

Monsieur le président ,

À quelques jours de la tenue du scrutin, la plateforme du phtk constate que certaines dispositions administratives et techniques prises par le CEP violant le décret électoral et les règlements en vigueur. Ces dispositions non corrigées vont entacher la régularité, la sincérité, et la crédibilité des joutes du 9 octobre prochain.

1. Le CEP que vous dirigez décide à la dernière minute d’augmenter le nombre d’électeurs par bureau de vote. Ce chiffre est passé de 490 le 26 octobre 2015 à 570 le 9 octobre 2016. Cette disposition va provoquer un remue-ménage sur l’ensemble du corps électoral. Près de 40 à 60 % des électeurs vont, à leur insu, changer de bureau de vote entre le 25 octobre 2015 et le 9 octobre prochain, alors qu’il s’agit d’un processus en continuation.

Outre que la constitution, les décrets et lettre prouvant la faculté continuation du processus électoral, un accord a été signé dans la nuit du 6 février entre le président Martelly et le parlement sur l’après 7 février 2016, marquant la fin de son mandat constitutionnel. Dans cet accord de nombreuses précisions sont apportées sur la question du mandat.

Titre:

Accord politique pour la continuité institutionnelle à la fin du mandat du président de la république en l’absence d’un président élu et pour la poursuite du processus électoral entamé en 2015

Vu les articles 92, 92-1, 95, 95-1, 98, 98-3, 118, 134-1, 134-2, 134-3, 149,149-1 de la constitution de 1987 amendée ;

Vu l’article 134-1 de la constitution de 1987 amendée consacrant la fin du quinquennat du président de la république le 7 février de la cinquième année de son mandat ;

Vu l’article 134-3 de la constitution de 1987 amendée disposant que  le président de la république ne peut bénéficier aucune prolongation de mandat.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments probants à savoir les textes constitutionnels, les décrets électoraux, les correspondances et les discours de plusieurs acteurs tant du parti PHTK et de plusieurs acteurs de l’international, les élections n’étaient jamais annulées pour passer à un autre processus. Au contraire, c’était le même processus en continuation aboutissant à l’avènement du président Jovenel Moïse à la magistrature suprême de l’état.

Ensuite, la constitution en vigueur n’a pas autorisé, dans aucun de ses articles, l’annulation d’un processus électoral. Le conseil électoral provisoire peut toujours, en cas de fraude, proceder à l’annulation d’une élection, mais l’organisation d’une nouvelle élection exigeant la reconfirmation de candidature, s’inscrit encore dans le même processus en cours ; une façon d’harmoniser le temps électoral et constitutionnel.

Le mandat comme échéance illimité même en cas d’etat d’urgence national

Le mandat existe indépendamment de la personne élue. Même en absence de celui-ci causant alors ce qu’on appelle «un vide institutionnel», le mandat existe encore ; il ne s’arrête en aucun cas. L’entrée en fonction d’un président, sénateur, député, magistrat ne signifie pas le début du mandat puisque ce dernier est illimité dans le temps. Les cataclysmes, les troubles politiques, les épidémies n’ont jamais eu d’impact ou porter atteinte au mandat. Peu importe les circonstances, les situations du pays ne contraint pas l’existence d’un quelconque mandat.

De plus, le mandat n’est jamais uniquement une question de durée, il s’accompagne généralement d’un ensemble d’obligation pour parler de son accomplissement. Les «zélés» du parti haïtien tèt kale (PHTK) évoquent chaque jour le mandat du président Jovenel Moïse uniquement sur une question de durée pour justifier que le président, doit boucler son mandat en 2022 sans mentionner pour autant les attributions du chef d’État de la République comme garant de la bonne marche des institutions du pays. Le président Jovenel Moïse, peut-il oser présenter un bilan de réalisations positives durant son passage au pouvoir à titre de président ? Peut-il oser parler de progrès économiques, politiques, sécuritaires ? Mais, il ose déclarer ne pas violer la constitution en déclarant que son mandat arrive à terme en 2022. Une affirmation tout à fait contradictoire à la loi mère du pays.

Encore, n’y a t-il pas un problème de légitimité du président Jovenel Moïse lorsqu’on considère le nombre de voies qui lui amène à la présidence? Une population de plus de 12 millions d’habitants, seulement 500 mille votants selon le CEP. Ce n’est rien d’autre qu’un signe qui montre que le président, dès le départ, n’avait pas bénéficié de la sympathie de la majorité du peuple. Donc, il est une raison de plus pour montrer que le chef de l’État doit partir au plus tard le 7 février 2021. Date qui coïncide à la fin de son mandat selon les lois en vigueur.

La personnalisation de l’État Haïtien en la personne de Jovenel Moïse

L’État c’est moi ! Tel était l’assise du pouvoir absolu de Louis XIV (l’un des plus grands absolutiste Français du 18ème siècle). Jovenel Moïse semble avoir la prétention d’être un prototype de ce dernier lorsqu’il dit : « le président a parlé, point barre». Ainsi, il n’admet aucun point de vue autre que le sien. Il concentre entre ses mains tous les pouvoirs politiques:

Le pouvoir exécutif qui doit être bicéphale selon l’article 133 de la constitution est représenté uniquement par Jovenel Moïse et le premier ministre n’est que son serviteur nommé, un pantin qu’il utilise à sa guise.

Le pouvoir législatif n’existe plus lorsque dans un tweet la nuit du 13 Janvier 2020 (12h03 AM, plus précisément), le président a constaté la caducité de la 50eme législature.

Le pouvoir judiciaire est complètement fléchi devant l’exécutif puisque la majorité des juges s’inscrivent dans la même dynamique de corruption avec le président et ne peuvent pas exercer aucune action en justice contre les partisans du pouvoir en place corrompu.

De plus, Jovenel Moïse n’a pas organisé les élections pour renouveler les personnels politiques au Parlement et dans les mairies. Il préfère que le Parlement soit dysfonctionnel, et préfère également procéder à la nomination des agents intérimaires à la tête des institutions municipales dans le but de les rendre plus dépendants de l’exécutif.

Enfin, la constitution de 1987 amendée est clair en ce qui concerne la fin du mandat du président Jovenel Moïse. L’article 134.2, les décrets et accords ainsi que les déclarations pré ou post-electorales des membres du PHTK (porte parole, conseillers, candidats) confirment la fin du mandat du chef d’état à partir du 7 février 2021. Par contre, le président dans ses déclarations montre sa détermination de maintenir le pouvoir jusqu’en 2022 par la force et répressions populaires en utilisant une fraction de la police nationale d’Haïti (PNH) et gangs armés. Cependant, la répression n’est jamais un moyen digne de garder un pouvoir, le président Jovenel Moïse a prêté serment par le biais d’une constitution démocratique qu’il jure de respecter devant la nation, sinon il sera responsable des crimes, meurtres et assassinats dans les divers quartiers du pays.

Wendy Deshommes

Bibliographie

ÉTIENNE sauveur Pierre, HAÏTI. la drôle de guerre électorale 1987-2017, l’harmattan, 2019

Constitution de la république d’Haïti de 1987 amendée le 9 mai 2011, les éditions Fardin, Août 2012

JEAN CHARLES Enex, Manuel de droit administratif haïtien, AFPEC, 2002

ROUSSEAU Dominique, radicaliser la démocratie. Proposition pour une refondation, éditions du Seuil, 2017

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