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Crise de leadership au sein de l’opposition politique en Haïti

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L’opposition politique en Haïti, en tant que «contre-pouvoir» qui dénonce l’action gouvernementale, est confrontée à un grave problème de leadership. Un problème qui se manifeste surtout ces 10 dernières années d’effervescence politique majeure dans le pays. Il est même très difficile de catégoriser l’opposition politique en Haïti en un bloc homogène c’est-à-dire une structure à l’intérieur de laquelle les différents membres partagent une idéologie commune, une vision commune et un idéal commun pour le pays. Au contraire, l’opposition politique en Haïti paraît plutôt une structure hétérogène basée sur la polémique entre les différents acteurs.

D’ailleurs, les altercations entre des membres de l’opposition politique dans la conjoncture politique actuelle en demeurent une preuve flagrante: duel entre l’ex-sénateur Moïse Jean Charles ( leader de la plateforme Pitit Desalin) et l’ex-sénateur Nenel Cassy ( membre du secteur démocratique et populaire); polémiques entre Moïse Jean Charles et André Michel (porte-parole du secteur démocratique.)

Les rapports antagoniques qui existent entre les différents acteurs qu’on peut qualifier de l’opposition politique en Haïti sont souvent l’une des causes de l’échec des mouvements orchestrés contre le régime en place. Comment peut-on expliquer ce problème au sein de l’opposition politique en Haïti? Peut-on attribuer ce problème à un manque de leadership dans l’opposition en Haïti ? Ou existe-t-il une opposition ou des oppositions politiques dans le pays?

Origine de l’opposition politique et sa formation en Haïti dans le contexte post-duvalieriste

Apparue en Angleterre au début du XVIIIe siècle (1704), l’opposition politique prend historiquement ses racines dans le libéralisme politique. Selon M. Sadoun, le libéralisme n’échappe pas à la recherche de l’unité que poursuit tout régime politique mais faisant de cette unité le produit de la rencontre et de la confrontation des opinions; il place le consensus au terme du débat.

La reconnaissance de l’opposition politique traduit une sorte de tension entre la volonté de permettre l’existence d’un certain pluralisme politique et la nécessité de protéger la démocratie.

L’opposition politique n’est autre qu’un contre-gouvernement. Elle s’adonne à une analyse critique des actions et choix du gouvernement, elle a également vocation de proposer une alternative à la politique.

En d’autre terme, l’opposition politique est une force qui, classiquement et dans l’esprit libéral, determine également la conduite des affaires publiques. Ainsi, elle suppose un mouvement, une dynamique autonome qui la transforme en une notion intrinsèquement paradoxale.

De plus, l’opposition remplit une fonction de légitimation du système démocratique et une fonction critique idéalement constructive de la majorité. C’est ainsi que doit fonctionner une opposition politique dans une démocratie. Elle doit s’appuyer sur une logique constructiviste visant à apporter sa contribution dans la maintenance des valeurs qui sont à la base de la démocratie. En conséquence, il ne peut y avoir de démocratie sans opposition politique.

En Haïti, en 1986, La chute de Duvalier s’explique par le déracinement d’un régime de dictature instauré en Haïti depuis 1957. Ce régime portait atteinte à des libertés fondamentales d’un individu: liberté d’expression, d’opinion, de manifestation, etc. Après cette rupture de régime, Haïti à connu une ère politique nouvelle: la Démocratie.

Par le biais de la démocratie naissante, on a vu émerger dans le pays de nombreuses parties et plateformes politiques ayant a leurs têtes des hommes politiques qui s’opposaient aux régime duvalieriste. Ces hommes et femmes politiques pour la plupart ne résidaient pas dans le pays avant 1986. C’étaient des professeurs d’université à la personne de Lesly François Manigat. C’étaient des hommes politiques exilés par le régime en place. C’étaient des journalistes, des défenseurs de droits humains, des étudiants, etc. Ces personnes allaient former l’opposition politique en Haïti.

Après plusieurs élections organisées dans le pays depuis 1991 jusqu’à nos jours, des élections toujours contestées, certaines aboutissent à des coups-d’etat, la classe politique du pays s’est déstabilisée de manière considérable. Si les hommes et femmes politiques qui limitaient contre le régime duvalieriste dans le pays avaient eu une alternative commune, l’opposition dans le contexte post-duvalieriste ne semble pas y avoir. Elle est plutôt caractérisée par une surabondance de slogans. Elle ne porte en elle-même aucun discours bâti sur front commun. En conséquence, l’opposition politique en Haïti est représentée par des acteurs qui ont des convictions differentes, qui portent chacun un discours différent. Des acteurs qui défendent des intérêts différents les uns par rapport aux autres. Enfin, des acteurs politiques qui défendent une partie politique et non un système politique.

L’opposition politique en Haïti comme structure groupale dans une société d’inégalités extrême

Que l’on veule ou non, l’opposition politique en Haïti est constituée d’acteurs qui forment une structure groupale caractérisée par des facteurs de cohésion extrinsèque antérieurs à la formation du groupe, c’est le cas par exemple des formes de contraintes légales; et des facteurs intrinsèque subdivisés à leur tour en deux grandes catégories:

Les facteurs d’ordre socio-affectif attribuant au groupe une certaine attractivité et qui englobe une certaine motivations, émotions et valeurs communes;

Les facteurs d’ordre opératoire et fonctionnel qui touchent à l’organisation propre du groupe en lui facilitant de satisfaire ses besoins et poursuivre ses buts.

Mais, compte tenu d’un ensemble d’éléments de différence entre les divers acteurs d’un groupe (les individus formant les groupes n’ont pas toujours les mêmes appartenances sociales, le même niveau économique, intellectuel) et même au niveau d’affiliation, une relation asymétrique qui influence grandement les relations qui s’établissent entre eux, leurs modes d’échanges, de même que l’attente des uns et des autres au sein du groupe. Du coup s’impose à l’intérieur du groupe une sorte de hiérarchie automatique qui peut amener cette structure groupale à sa propre auto-destruction.

La culture du débat comme médium pour une opposition politique efficace en Haïti

La faiblesse de l’opposition politique en Haïti résulte, en grande partie, d’un manque de culture du débat comme moyen pour mener les actions politiques.

Le débat est une organisation structurée par laquelle deux discours s’affrontent. Généralement, le débat porte sur des enjeux économiques, sociaux, culturels et politiques, même s’il n’existe pas de solution évidente aux problèmes soumis aux débats. En d’autres terme, le débat est un échange ordonné dont l’objectif vise à convaincre par des arguments forts et raisonnés. Il permet également de dégager des lois et des règles construites pour le «vivre ensemble».

Donc, pour débattre il est obligatoire que chaque protagoniste porte une opinion que l’autre ne doit pas immédiatement réfuter sans passer en revue de l’analyse. C’est pourquoi, le débat en tant qu’échange discursif d’arguments permet la prise en compte de l’«altérité» ou la reconnaissance de l’autre en tant que sujet parlant qui a quelque chose à dire. La philosophe Hannah Arendt énonce: «Quelque intensément que les choses du monde nous affectent,  quelque profondément qu’elles puissent nous émouvoir et nous stimuler, elles ne deviennent humaines pour nous qu’au moment où nous pouvons en débattre». Donc, le débat est placé au centre de notre existence.

Personne n’a la science infuse, tel est l’idée fondamentale servant l’armature même de la tolérance entre deux protagonistes lors d’un débat. Tout ce qu’on dit peut être réfuté dans la mesure où une autre thèse plus fondée vient démonter la première. Rien n’est, en réalité, absolue, tout est falsifiable. Peu importe la thèse, l’idée, l’argument, ils peuvent être soumis à l’examen critique. Donc, pour mieux dire, le débat n’est pas uniquement la confrontation d’idée, d’argument mais, il est en même temps une activité doté d’une certaine tolérance entre les deux partis pour trouver ce qu’ on pourrait appeler «la convivialité». Ce concept est définit d’après le Dr Paul Antoine dans son texte intitulé «Liberté d’expression et convivialité en Haiti» comme l’ensemble des rapports favorables des personnes d’un groupe social, entre elles et face à ce groupe. En d’autres mots, la convivialité c’est la capacité d’une société à favoriser la tolérance et les échanges réciproques entre les personnes et les groupes qui la compose.

Cette approche nous permet, dans une certaine mesure, de mieux expliciter la problématique de l’opposition politique  en Haïti qu’on peut qualifier d’«opposition plurielle» vu que les acteurs qui en font partie ne partagent pas les mêmes visions politiques des choses.

L’opposition politique en Haïti, en tant qu’institution, n’a pas autant exploité le débat organisé pouvant lui donner une plus forte représentation au sein d’une société en agonie. Dans ce cas, ces différents membres, bien qu’ils fassent partie d’une structure politique différente, doivent utiliser en toute circonstance le langage comme moyen d’intercomprehension.

Selon Jürgen Habermas, le concept d’intercomprehension (verständigung) renvoie à un accord (Einverständnis) rationnellement motivé obtenu entre les participants. Cela suppose généralement au moins deux partis ou protagonistes qui, préoccupés par une réalité du monde, soumettent à la discussion rationnelle afin de trouver une sorte de consensus sur cette réalité, et c’est dans une telle perspective que la notion d’intercomprehension trouve pleinement sens.

Pour être beaucoup plus clair, les hommes de l’opposition politique en Haïti doit soumettre obligatoirement à la discussion les actions gouvernementales et les problèmes sociaux, politiques, économiques, etc. qui ruine la société haitienne afin de construire un leadership oppositionnel jouissant la confiance populaire.

En conclusion, l’opposition politique est une institution qui a sa place dans la société comme contre pouvoir qui doit dénoncer publiquement les dérives du pouvoir politique et proposer les meilleurs moyens d’appréhender la crise du pays. Mais, elle fait face en Haïti  à une crise de leadership énorme surtout ces dix (10) dernières années de troubles politiques majeurs. Cette crise est dû, dans une certaine mesure, à un manque de débat rationnel et organisé ayant pour cause la volonté de certains membres de cette structure qui cherche à s’affirmer au sein de l’opposition tout en faisant négation des autres membres. Aujourd’hui, il est nécessaire, face à cette crise qui sévit en Haïti, pour l’opposition politique du pays d’utiliser le débat rationnel tout en adoptant la tolérance comme l’un des moyens de  poser les vrais problèmes sociétaux.

Bibliographie

HABERMASJürgen, Theoriedel’agircommunicationneltomepremier. Rationalitédel’agiretrationalisationdelasociété, EditionsFayard, 1987

HURBON, Laënec, Comprendre Haïti. Essais sur l’État, la nation, la culture. Éditions Karthala, 1987.

DEROSIER, Jean Philippe, L’opposition politique, les cahiers du ForInCIP no 1, LexisNexis SA, 2016.

JEAN, Maisonneuve, La dynamique des groupes, presse universitaire de France, 1968.

LECLERC Chantal, Comprendre et construire les groupes, les presses de l’université Lavil

ARENDT Hannah, Qu’est ce que la politique?, Paris, Points-Seuil, 1995

TOUSSAINT Herold, Université et débat argumenté. Première lettre à l.a communauté universitaire, Port-au-Prince, 1er trimestre 2017.

ANTOINE, Paul, Liberté d’expression et convivialité en Haïti, SelfPA.com

POPPER Karl, conjectures et réfutations. La croissance du savoir scientifique, Payot et Rivages, 1985

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